28 septembre 2015

Zina (lecture de tombe)

La tombe de Zina
C'est une tombe ordinaire parmi les tombes du cimetière russe de Sainte Geneviève des bois, à cela près qu'est plaquée, sur la croix barrée à la base, si caractéristique des sépultures orthodoxes, une croix latine on ne peut plus familière aux catholiques romains.
C'est que l'habitante de ces lieux, Zinaïda Evguenievna Serebriakova, ce qui s'écrit en russe Зинаи́да Евге́ньевна Серебряко́ва, était née Lanceray, un nom de famille d'origine française, et qu'elle était de plus apparentée aux Benois, en russe Бенуа, une famille d'origine également française.
Son oncle (en russe дядя, prononcer diadia), Alexandre Benois, fils et frère d'architectes, était un peintre aquarelliste et décorateur de théâtre connu. C'est même lui qui réalisa le décor initial du fameux ballet d'Igor Stravinsky, Petrouchka. L'acteur anglais Peter Ustinov était son petit fils.

Le décor de Petrouchka,
par Alexandre Benois
Inutile de préciser que la mère de Zinaïda dessinait à merveille, et que ses deux frères, également doués, furent l'un peintre et sculpteur, l'autre architecte. Quelle famille ! C'est donc tout naturellement qu'elle entre vers 1900 à l'école d'art fondée par la princesse Maria Tenicheva pour y suivre les cours du peintre Ilia Répine (Ілля Юхимович Рєпін en ukrainien, en russe Илья́ Ефи́мович Ре́пин), un portraitiste intéressant. Elle part à Paris au début du siècle pour intégrer l'académie de la Grande Chaumière ou enseigna Antoine Bourdelle (entre autres célébrités).

Mais, revenue dans sa maison ukrainienne où elle vit avec son époux et cousin, ingénieur des chemins de fer, la voilà soudain frappée par le malheur: la révolution d'octobre éclate, son mari est emprisonné, contracte le typhus (la « fièvre des prisons »), et en meurt. La voilà ruinée, ses biens confisqués, seule avec quatre gosses et sa mère à charge. Après avoir fait la copiste au musée de Karkhov pour gagner quelques sous, elle part à Petrograd (l'ancien Saint Petersbourg) où elle fréquente d'autres peintres, mais poussée par la misère, elle finit par émigrer en 1924 vers Paris où elle a des commandes. Mais elle est séparée de ses enfants.

À la plage, par Zénaïde Serebriakoff
Naturalisée française en 1947, ce n'est qu'en 1960 qu'elle connaît enfin la reconnaissance de son art en Russie. Auteur de nombreux autoportraits, de nus féminins, elle a été comparée à Marie Laurencin, mais je trouve sa peinture nettement meilleure.
Ses autoportraits montrent une jeune femme à l'air ouvert, sympathique et même malicieux. Ce n'est pas une beauté, mais elle a du charme et du chien, avec son nez un peu long qu'elle représente sans complaisance dans l'autoportrait au miroir ou l'autoportrait à l'écharpe.
Autoportrait au miroir

Autoportrait à l'écharpe

Certains de ses nus féminins ont été inspirés par un voyage au Maroc, notamment à Marrakech, où elle se rendit bien qu'apatride — car les Soviétiques avaient retiré la nationalité russe aux émigrés — grâce à la protection d'un « passeport Nansen » et à l'invitation d'un mécène belge, Jean de Brouwer, qui fut aussi le bienfaiteur de Nicolas de Staël. Voici quelques uns de ses portraits féminins.







Un autre nom figure sur la tombe de « Zina » (diminutif de Zénaïde) : celui de son fils, Alexandre Serebriakoff, qui fut également peintre, comme sa sœur Catherine. Celle-ci est décédée récemment, le 22/08/2014, à l'âge de 101 ans ! Tous les deux étaient spécialisés dans le portrait d'intérieur. La tradition familiale se perpétuait, puisque l'autre sœur,Tatiana, fut elle aussi décoratrice, au théâtre d'art de Moscou.

E.C.
(cliquer sur les photos permet de les agrandir)