21 février 2014

Régime

Mon petit fils Piero, 4 ans ½, a un appétit gargantuesque qui fait plaisir à voir. Il se régale de tout : viande, poisson, légumes ou fruits. Aussi est-ce avec une angoisse perceptible qu’il écoute sa grand-mère raconter sur Skype à son père le régime sévère auquel sa nutritionniste l’a soumise. Pas de pommes de terre, pas de pain, pas d’huile, pas de sucre, pas de carottes, pas de raisin etc. Voyant grandir son inquiétude, je choisis de lui lister plutôt ce à quoi j’ai droit. 

— J’ai droit aux aubergines !
— mmhh !
— j’ai droit aux courgettes !
— mmmh !
— j’ai droit aux pommes, aux endives, au chou rouge, aux brocolis, à la salade, au yaourt 0% !
— mmmhhh, continue Piero dont le regard s’éclaire un peu.
— j’ai même droit à la viande si elle n’est pas grasse !

Alors Piero, pas complètement rassuré :
— T’as droit aux jeux vidéo ?

16 février 2014

Le Gnaf

Adam nommant les animaux
Adam nommant les animaux
On sait par la Genèse que l'art de donner des noms est un jeu divin et que, jusqu’à l’épisode de la tour de Babel, c’est aussi l’unique manifestation du langage humain. Incité par son créateur et inspiré par Son exemple, Adam joue à nommer les animaux qui lui sont présentés, sans pour autant leur tenir conversation. Aussi, n'est-il pas curieux de constater qu'en français cet art de nommer, qui donnerait, dit-on, le pouvoir sur l'objet nommé, manque lui-même d’un nom ?

En français peut-être, mais pas en argot Baille — la Baille désignant l’École navale — dans lequel il était appelé Gnaf, homonyme du vieux mot d’argot français pour « cordonnier ». Bien qu’il soit tombé dans l’oubli depuis les années vingt, au point de ne pas figurer dans le glossaire de « l’espace tradition » de l’école navale, le gnaf désignait plus précisément l’art de trouver et d’attribuer des surnoms aux officiers de marine, et en particulier aux amiraux, bien sûr. 

Il était fréquent, lors des réunions amicales de marins ou d’anciens marins auxquelles j’ai pu, dans ma jeunesse, assister de près ou l’oreille collée contre la porte, de les entendre réciter en se tordant de rire la litanie des plus célèbres de ces surnoms. Je me souviens que « Tatave », grand ami de mon père, n’était pas le dernier à se fendre la pêche, bien qu’il eût lui-même reçu le sobriquet de quinze à gauche, à cause de la scoliose dont il était affligé.

Emblème de l'École navale, représentant le Borda
Presque tous ces noms prennent comme matériau de départ le nom de baptême initial de l'intéressé, et utilisent les syllabes voire les lettres de ce nom pour former des calembours et des mots valises à grands coups d'homophonies, de synonymies, de charades ou de contrepèteries. Certains font allusion à une particularité physique ou morale réelle ou supposée du surnommé. Très peu manquent d’esprit, même si ce genre d’esprit mérite d'être qualifié de potache, l'officier visé étant le plus souvent ridiculisé par son surnom.

Ces amiraux aux noms parfois étranges ont-ils vraiment tous existé ? Ma mémoire n'est pas d'une fiabilité à toute épreuve... Le dactylogramme que mon père reçut d'un ami pour ses 60 ans en 1983 — le seul document dont je dispose — est certes plus crédible mais il comporte des erreurs de noms. C'est d'ailleurs de ce même dactylogramme que Claude Gagnière s'est inspiré pour l'entrée « Marine (surnoms dans la) » de sa superbe encyclopédie Au bonheur des mots, parue en 1989.
« C'est aux hasards de l'amitié que nous devons la découverte d'une liste dactylographiée où sont récapitulés les surnoms attribués aux officiers supérieurs de la Royale »
écrit-il. Et j'ai en effet repéré dans son article les même fautes que celles du dactylogramme qui est en ma possession. Mais je n'ai pas retrouvé tous les officiers de cette liste sur l’annuaire des officiers et anciens élèves de l'École navale, certes lui-même incomplet. Par exemple j'y ai cherché en vain le nommé Dagrain ou Dagrin (dit Chamour) qui semble inconnu au bataillon. Dommage ! Mais la question de savoir quelle est la part de la légende et celle de la réalité importe finalement peu. Les jeux sur des noms mystérieux — et peut-être inventés pour certains — sont aussi intéressants que les autres et font appel aux mêmes procédés de fabrication.

Traductions

Un procédé des plus fréquents est celui de la traduction : cela peut être du mot à mot, comme avec Mangematin, dit Bouffe aurore, l'amiral Bied-Charreton dit Ticket d'Voiturette, le capitaine de frégate Lemoine des Mares, dit Le Capucin des Étangs ou l'amiral Burin des Roziers dit Bédane des Églantines, constitués de (presque) stricts synonymes. Le mot à mot devient parfois plus approximatif, comme avec l'amiral Mercier de Lostende (1860-1950) dit Épicier de Cancale. On voit que la structure est conservée mais le sens a glissé légèrement, un épicier ne vendant ni rubans ni boutons. Quant à Ostende et Cancale, elles ont en commun les huîtres, mais sont géographiquement distinctes. Ce procédé de décalage est exactement le même que celui utilisé dans les « chicagos », inventés par Paul Fournel. Autre transposition géographique avec l'amiral Michel Mollat du Jourdin dit Crachat du Nil, mais on reste au Moyen Orient. Entre Roumain de la Touche et Bulgare de la Mêlée, on devine une conviction de rugbyman, ces phases de jeu s'avérant toutes les deux aussi cruciales. Georges Félix Mabille du Chesne ne figure pas dans la liste de mon souvenir ni dans le tapuscrit hérité de mon père. Mais j’ai repéré son nom dans l’annuaire des anciens de l’École Navale, et je parierais que quelqu'un a déjà eu l'idée de l'appeler Ma gueule de bois !
Dessin de Panpan, lapin de Walt Disney dans Bambi
L'amiral Decoux, dit Pan-pan

Le mot à mot se résout parfois en onomatopée, et le nom de l’amiral Jean Decoux, qui fut, excusez du peu, le dernier Gouverneur Général d’Indochine, devient Pan ! pan ! une fois traduit en langage enfantin (mais réaliste). Pour le contre-amiral Octave Montrelay, une traduction en langage familier qui devait sonner comme un défi, donnait Fais les voir, parfois résumé en Chiche ! Il y avait deux Monconduit, Paul-Jules et Tanguy-Marie, mais l’histoire ne dit pas lequel fut nommé Dutuyau. Villecourt était surnommé de façon charmante bien qu'irrévérencieuse Le Petit Chose et Villepelé le petit tondu. Subtile et presque capillotractée, la traduction de Rossillon en Rentroitours respecte l’aphérèse du nom initial mais parait moins évidente, aujourd’hui que le MP3 a remplacé le vinyle.

Les traductions du français à l'anglais n'étaient pas oubliées, et le célèbre amiral Darlan, qui dirigea le gouvernement de Vichy avant Pierre Laval puis retourna sa veste en 1942 avant d'être assassiné la même année, en fut une malheureuse victime, tout comme le comte d'Harcourt, vice-amiral, et de Vigouroux d'Arvieux, contre-amiral : ils étaient en effet respectivement connus sous les noms de Slow Zob, Short Zob et Old Zob. 


L'Adam de la Chapelle Sixtine affublé d'une casquette d'amiral
L'amiral Adam
Enfin, la traduction peut prendre une forme définitionnelle ou explicative. C'est le cas pour Pérot, dit la double incongruité. Il convient à son propos d'en signaler une troisième : c'est en effet lui qui commandait le Georges-Leygues lorsque celui-ci coupa le contre-torpilleur Bison en deux le 7 février 1939, faisant dix-huit morts. L'amiral Faucon ne devait pas être un aigle, puisqu'on l'appelait le grand calomnié ; l'amiral Adam était tout simplement... le premier venu. Quasiment une définition de mots croisés !

Comme son nom l’indique

L'amiral Tutenuit
D'autres surnoms sont donnés par pure déduction logique, devenant presque des commentaires sur le patronyme. C'est ainsi que le capitaine de frégate Georges Henri Ménage était dit le mari de la femme de, ce qui est incontestable. Il ne deviendra jamais amiral , quittant en effet la Royale pour l'entreprise Total jusqu’à sa retraite en 1982. Ernest Papaïx (1855 – 1926), comme ça se prononce, était bien sûr de père inconnu. L'amiral Tutenuit devait en effet être bien sourd, pour ne pas entendre qu'on l'appelait ôte ta main de ta poche. Par contre Pinelli était connu sous le nom finalement assez flatteur de tout un programme.  Enfin, plusieurs officiers de la noblesse, titulaires d'un nom à tiroirs, bénéficiaient d'un sobriquet qui était à proprement parler un diminutif, comme pour le capitaine de frégate de Gouyon Matignon de Pontouraude, résumé par Ces messieurs.

Le surnom peut faire allusion à quelque qualité (ou défaut) de l'officier. Par exemple le capitaine de corvette Le Tesson était accusé d'être le voleur de cédille, ce qui n'est pas très élogieux pour son intelligence. Un autre capitaine de corvette, Charles Dard, était dit Tout court. Simple et de bon goût, ce surnom fait allusion aux autres d'Harcourt, d'Arvieux, et Darlan cités plus haut. Pour découvrir pourquoi l'on appelait l'amiral De Penfentenyo de Kervéréguin Bidon Shell, il faut à la fois se reporter aux anciennes publicités de la marque, (voir ci-contre) et savoir que pour cet officier catholique breton doté d'une nombreuse famille, « chaque goutte comptait » en effet ! À propos de catholique, l'amiral Thierry d'Argenlieu, en religion père Louis de la Trinité, était appelé naturellement Le Carme naval. Mais également Ruolz. Pourquoi Ruolz ? Le Ruolz était un alliage de cuivre, nickel et argent en vogue au début du vingtième siècle pour la fabrication des couverts. Au figuré, c’était... du toc. Donc le Ruolz « tient lieu d’argenterie » par un contrepet approximatif et proche de l'à peu près avec Thierry d’Argenlieu.

Calembours et contrepets

L'amiral Salaün, dit Vidu
D'autres sobriquets utilisent les calembours, par addition ou par soustraction de syllabes. C'est le cas de celui du contre-amiral Jacques Avice, dit La vis sans fin. Il faut dire qu'il dépasse tout le monde d’une tête sur les photos. Je me souviens que le surnom de l'amiral Salaün était parmi mes préférés quand j'étais jeune. On l'appelait en effet Vidu. Pour comprendre, il faut savoir que le nom breton Salaün, qui veut dire Salomon, se prononce « Salun ». Le calembour Salaün dit Vidu prend alors tout son sens. Passons au Chef d'État-Major à l'Inspection générale des Forces Maritimes et Aéronavales dans les années 50, qui s'appelait Hamel. Il devait trouver son surnom d'Oscar un peu collant... L'histoire ne dit pas si celui de Pelure faisait pleurer Doignon, capitaine de vaisseau et commandeur de la Légion d'Honneur, ni si Hue appréciait qu'on l'appelle Cocotte. En revanche Abel pouvait se satisfaire d'être appelé L'émir, ça ne devait pas être pour des prunes !

Signature du Concordat
Les exemples de soustraction de syllabe ne sont pas très variés, car c'est étrangement toujours un peu la même syllabe qui a tendance à disparaître : je ne prendrai que deux exemples : celui de l'amiral Corda, surnommé 1801. (Il faut bien sûr se souvenir de ce qui s'est passé le 15 juillet 1801 !) et celui du capitaine de corvette Py, surnommé grenadine, car Picon-grenadine. C'est un peu différent pour Houette, dit Arachide, car là, c'est deux syllabes qui sont sous-entendues !

J'ai gardé pour la fin les contrepèteries, pour lesquelles j'ai toujours eu un faible. Le fameux Roquebert, dit Camenfort, nous apporte ses deux fromages sur un plateau contrapétique. Quant à savoir quel était ce Roquebert… Il n’y en a pas moins de cinq dans l’annuaire mais aucun n’y est répertorié comme amiral ! Ce n'est pas le cas de Charles Salmon, dit le montre-amiral, ni de l'amiral Galleret dit La Faillite, ni de l’amiral Vatelot, frère de l’illustre luthier, qui était sans conteste un Matelot de valeur. Ni du contre amiral Marius Cayol appelé Caïus Mariolle. Mais j'ai cherché en vain un Testoris dit Cliticule. J'aimerais tant qu'il ait existé !

09 février 2014

Le sein des Amazones

L'article suivant est paru dans le numéro 26 du Correspondancier du Collège de ’Pataphysique
daté du 15 sable 141 (15 décembre 2013).

***

Le 9 décervelage 140 (16 janvier 2013 vulg.), le HamburgerMorgenpost fit état d’une inquiétante étude réalisée par l’Oberfeldarzt Björn Krapohl, chef du service de chirurgie plastique et de chirurgie de la main à l’hôpital des forces armées allemandes. 

Bien que rasé de près, cet « amazone »
ne fait pas illusion. Le visage, le biceps
et les mollets sont mâles, sans même parler
de la protubérance sous la jupette.
Ce professeur constatait que sur deux cent onze patients mâles opérés des seins en six ans, trente-cinq d’entre eux étaient issus du Wachbataillon, un corps de gardes d’élite présent lors des cérémonies officielles allemandes. Parmi ces trente-cinq gardes, vingt-six présentaient une hypertrophie de la poitrine à gauche, soit 74 %. Le praticien établit en conséquence une « corrélation significative » entre l’activité de ces militaires et la gynécomastie du côté gauche et transmit illico les conclusions de son étude au ministère concerné. 

De quelle activité s’agissait-il ? De celle de plaquer de façon répétée leur Karabiner 98 K (un Mauser) sur le côté gauche de la poitrine, lors des exercices militaires, précise le Hamburger Morgenpost. L’excitation fréquemment réitérée de cette zone provoque en effet une sécrétion hormonale se traduisant par un amas relativement important, puisque le sein gauche ainsi traité peut parvenir à remplir un bonnet C de soutien-gorge. La correspondance amas-zone est en tout cas clairement établie.

Cette découverte kapitale conduit le pataphysicien à s’interroger, comme le fit Plutarque, sur la réalité ou la véracité du mythe des Amazones, ou au moins à le relire à la lumière verte de sa chandelle. En effet, comme il le note et comme chacun le sait, ces féroces viragos n’hésitaient pas à brûler le sein droit de leurs filles ou à se couper le leur, dans le but de mieux tirer à l’arc. Considérant les corps ainsi obtenus et s’appuyant sur le principe d’équivalence, il pose donc l’égalité suivante : 

(torse féminin) – (sein droit)  = (torse masculin) + (sein gauche).

Cela voudrait-il dire que les soldats de la garde d’élite d’Angela Merkel sont des femmes mutilées ? Pas du tout, mais bien plutôt que les intrépides guerrières de la mer Noire, qui ont tant fasciné Homère, Virgile, Hérodote et Quintus de Smyrne, n’étaient en réalité que de vulgaires troufions… 

Le Wachbataillon à l’entraînement

À force de bander leur arc et de frotter leur avant-bras contre un mamelon viril, les militaires scythes, plagiant par anticipation leurs collègues allemands, virent avec honte et effroi se développer sur leurs torses velus une excroissance féminine, et cette excroissance trompa facilement, on le conçoit, Bellérophon, Achille, Héraclès, Thésée, Priam et autres héros grecs confrontés à leurs troupes belliqueuses.

Un problème de symétrie


À ce point de la démonstration, le pataphysicien se heurte à un problème de symétrie. En effet, se dit-il, si les archers scythes tenaient leur arme de la main gauche et la bandaient de la droite, c’est logiquement le sein droit qu’ils auraient dû voir pousser à force de sollicitation pectorale. Celui précisément que se coupaient les Amazones ! 

Écartant l’hypothèse, sans fondement historique, d’une vision des Amazones dans le miroir du bouclier d’Athéna, comme celle d’une armée de Méduses contre lesquelles marcheraient à reculons des troupes de Persées, le pataphysicien, avec méthode, en arrive à la seule conclusion possible : les soldats scythes tenaient leur arc de la main droite et tiraient avec la gauche. 

Cela n’a rien d’extraordinaire. Des histoires comparables sont d’ailleurs décrites dans d’autres écrits antiques. Par exemple, les Benjaminites, tribu sanguinaire s’il en fut, tiraient à la fronde du côté gauche comme il est écrit : 

Dans toute cette armée, il y avait sept cents hommes d’élite gauchers.
Tous ceux-ci, avec la pierre de leur fronde,
étaient capables de viser un cheveu sans le manquer
.
(Bible de Jérusalem, Jg 20:16.)

Et s’ils avaient tiré à l’arc plutôt qu’à la fronde, ç’aurait été bien évidemment du même côté.
Selon toute probabilité, les fières Amazones étaient donc des gauchers.

04 février 2014

La Complainte du Mur (Le Mur XXI)


À mon beau vélo je chantais l’aubade
En fixant mon mur
Qui est tout pourri plein d’estafilades
C’est un très vieux mur
Lorsque tout d’un coup ah quelle cagade
Au lieu de ce mur
Au-delà du haut de la balustrade
Là ouétait mon mur
Je vois une sorte de palissade
Tout contre le mur
Et dessus des gens risquant la glissade
Qui grimpent au mur
Leur marteau les suit dans cette escalade
Je crains pour le mur
Eux s’équilibrant sur l’étrange estrade
Attaquent le mur
De leurs gestes durs et pleins de saccades
Décapent le mur
Cassant le crépi ce qui le dégrade
Tout nu est le mur
Quelques jours après c’est la mascarade
Pour ce pauvre mur
Avec de la chaux qui est d’un blanc fade
On enduit le mur
Regardez-les donc passer la pommade
Sur ce triste mur
Comme s’ils le tartinaient de brandade
Honte sur le mur
Pourquoi donc du blanc et pas du vert jade
On se fout du mur
Ah non mais vraiment ça me rend malade
Quand je vois ce mur
Ce ravalement le change en façade
Je n’ai plus de mur
Dites moi que c’est une galéjade
Rendez-moi mon mur
Plus jamais je n’écrirai de ballade
Sur ce foutu mur
D’écrire en effet cela me dissuade
J’suis devant un mur
Et ceci est ma dernière tirade
En l’honneur du mur
Mon projet réduit en capilotade
Meurt avec le mur.


03 février 2014

Secrets de famille dans Le Chiendent

Ma découverte de Raymond Queneau date de l’adolescence. À quatorze ans, on retient tout et je connaissais déjà par cœur Les Fleurs du mal de Baudelaire, dont je me récite encore certains poèmes, la nuit, en cas d’insomnie (ce qui est assez fréquent). Queneau m’apparut à la même époque avec les Exercices de style, dans la belle édition de 1963, illustrée des exercices typographiques de Massin et de ceux, graphiques de Carelman. Elle avait été précédée du disque des Frères Jacques que j’écoutais en boucle. C’est de ce temps-là que je sais par cœur le « Latin de cuisine » Sol erat in regionem zenithi, et calor atmospheri magnissima, etc., que le quatuor chantait en grégorien, ce qui nous faisait mourir de rire.
 
La réponse de Queneau
(cliquer pour agrandir)
J’osai envoyer à Queneau un exercice supplémentaire, que j’appelai Version latine, et qui était une traduction du « Latin de cuisine » truffée exprès d’une jolie collection de barbarismes et de solécismes. Je l’avais écrite sur une copie d’écolier et mon père avait joué le prof, peu avare d’encre rouge et d’annotations féroces dans la marge. Contre toute attente, Queneau me répondit. Il devint mon idole et Le Chien à la mandoline, paru en 1965, mon livre de chevet. Avec un de mes cousins, qui partageait cette passion, nous récitions comme une litanie la Complainte à chacune de nos rencontres.

Cinquante ans plus tard, la passion est toujours aussi vive mais moins solitaire, car j’ai depuis rencontré d’autres fondus de Queneau, oulipiens, pataphysiciens, universitaires, voire tout ça en même temps. C’est en compagnie de quelques uns d’entre eux que j’ai participé, en novembre et décembre 2012, à un colloque international à Liège, sur le thème de la famille, ou plus exactement : « Parentés, Raymond Queneau et l’esprit de famille. » Le thème m’a tout de suite évoqué Le Chiendent, le premier roman de Queneau, que j’ai lu au bas mot une quinzaine de fois. C’est un roman passionnant, qu’on peut déchiffrer au moyen de plusieurs grilles de lecture et dont le sens me semble inépuisable.

J’ai donc écrit ce texte, trop long pour figurer tel quel sur Blog O'Tobo, mais que l’on peut feuilleter en cliquant sur l'image ou sur le lien ci-dessous, et même télécharger en PDF*, pour peu que l’on s’intéresse à Queneau et qu’on ait aimé le Chiendent. Il s'intitule Une famille qui cloche. Secrets de famille dans Le Chiendent. J'ai très rapidement rappelé, dans l'Avertissement, l'action et les personnages du roman de Queneau, histoire de rafraîchir les mémoires.

* On peut aussi  accéder au PDF sur GoogleDocs.