25 janvier 2014

Littérature et Déception

Par une coïncidence étrange, plusieurs journaux britanniques puis français se sont récemment fait l’écho de l’aventure du vaisseau fantôme Lioubov Orlova et de ses « rats cannibales », aventure que j’avais racontée ici dix jours avant. Mais ils n’ont pas évoqué l’île de la Déception où ce navire s’échoua, et sur laquelle je revenais plus longuement dans mon texte sur la toponymie déceptive. Je ne suis pas la première à m’être intéressée à cette île mystérieuse. J’avais déjà cité le poète William Logan, dont un poème et une anthologie des cinq premiers livres porte ce nom, Deception Island. 
Elle figure aussi, bien entendu, parmi les îles répertoriées dans le merveilleux bouquin de Judith Schalansky appelé en français Atlas des îles abandonnées. Voilà un livre qui fait rêver, et vous êtes sûr de faire plaisir en l'offrant. Son auteur m'est a priori sympathique, car elle a l'air d'aimer autant la typographie que l'écriture, c'est en tout cas ce que j'ai cru comprendre de la traduction Google de sa page Wikipedia en allemand.
De façon encore plus romanesque, Deception Island sert aussi de base secrète à des bioterroristes nazis (brrr) dans un roman écrit par une autre Judith, Judith Boss. Du moins si l’on en croit la quatrième de couverture, car je n’ai pas lu ce thriller qui m’a l’air haletant et plein de rebondissements, avec des cadavres dans la glace et des amours incestueuses. Une des « Amazon reviewers » de ce livre conseille de le lire plutôt pendant la canicule car les descriptions réalistes de l'Antarctique sont très rafraîchissantes.

Je ne l'ai pas lu et ne le lirai sans doute jamais, mais j’ai fort heureusement lu un autre livre à la place... au moins aussi haletant et plein de rebondissements, mais qui en outre est écrit dans une langue absolument époustouflante, je veux parler de Dan Yack, de Blaise Cendrars. À ma grande honte, j'avoue que je ne connaissais même pas l'existence de cette œuvre. C'est un ami, à qui je racontais ma Déception, qui a fait le rapprochement et me l'a vivement conseillé. Dan Yack est un armateur milliardaire britannique vivant à Saint-Petersbourg. Plaqué par la belle Hedwiga, il s'embarque — en rêve ? — avec le chien Bari et trois de ses compagnons de beuveries, un sculpteur, un poète et un compositeur, dans l'île déserte de Struge pour y passer les longs mois de l'hiver antarctique, mais voit ses amis mourir, l'un de syphilis, l'autre d'une crise de folie, le dernier écrasé par une statue géante qu'il sculptait dans la glace. L'art est une impasse... Sauvé in extremis, il se lance alors dans une entreprise utopique qui a pour cadre Port Déception, un lieu fortement inspiré de l'île de la Déception et des descriptions qu'en avait faites le commandant Charcot. Il édifie là une ville, et s'enrichit encore plus qu'avant grâce au commerce des nombreux produits que les ingénieurs dont il s'entoure réussissent à tirer de la baleine. La guerre, la lassitude et le besoin d'amour mettront fin à l'entreprise. Très différente, la deuxième partie de Dan Yack relate l'amour lumineux puis triste du personnage pour la jeune Mireille, et se passe encore dans les glaces, mais cette fois celles du Mont Blanc. J'ai dit à quel point l'écriture de ce livre m'avait époustouflée. Je ne citerai ici que ce passage décrivant la banquise :
Au large, la banquise chaotique était constituée par une barrière d'icebergs et d'iceblocks contenant les débris ou les ébauches de toutes les villes du monde. C'était un entassement fou de campaniles, de remparts, de bourgs féodaux, d'églises byzantines, de palais étrusques, de cirques romains, de pagodes chinoises, de frises et de chapiteaux assyriens, de rues louis-philippardes, de places, d'obélisques, de colonnades. Et tout cela était en pure glace, désertique et inhabitable. Une carrière. Un cimetière. Un chantier.

Je ne pense pas que j'aurais trouvé ce genre de description dans le bouquin de Judith Boss, mais j'avoue que je ne suis pas dénuée de préjugés.

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