29 novembre 2013

Panne de carburateur


Cette « morale élémentaire » est presque un Ready made : tout est extrait des pages 343 et 344 du Manuel du mécanicien d'aéronautique édité en 1941 par le ministère de la Marine.

EC.

17 novembre 2013

XVIIe Colloque des Invalides. Le secret.

Cette année, je ne participais pas en tant qu'intervenante au XVIIe colloque des Invalides, ce qui m'a permis de prendre quelques notes pour les lecteurs de Blog O'Tobo. Je rappelle que les intervenants n'ont que 5 minutes montre en main pour s'exprimer, ce qui rend le contenu d'autant plus passionnant.

Alain Zalmanski et les Hommes dansants de Conan Doyle

C’est Alain Zalmanski qui démarre en trombe, avec « la Stéganographie ou l’art de lire entre les lignes », art pratiqué par de nombreux précurseurs de l’Oulipo comme Conan Doyle avec ses Hommes dansants, Edgar Poe dans son Scarabée d’or, Willy et son sonnet acrostiche injurieux pour Hubacher, ou Fils du peuple de Maurice Thorez recélant « Fréville a écrit ce livre » dans une phrase de la première édition.

La Joconde est un portrait dont le commanditaire (et mari) refusa la première version. Benoît Noël avec « le secret de la souris qui sourit, définitivement dévoilé » suppose hardiment, au vu du regard en coin de la belle, qu’elle avait été initialement peinte nue. Vinci serait donc le premier peintre à avoir peint son modèle nu et habillé, à l’instar de Manet, de Goya et de nombreux autres, exemples projetés à l’appui.

David Christoffel pense, et il a raison, qu’on ne peut pas réduire La Flûte enchantée à la franc-maçonnerie, pas plus que la Pathétique de Tchaïkowski ne se résume à l’homosexualité de son auteur ou que d’autres secrets de compositeurs n’expliquent leurs musiques. Pourtant, on continue à en faire des livres.

Olivier Salon et la Boîte verte de François Le Lionnais

Olivier Salon qui enquête depuis déjà des années sur la vie de François Le Lionnais, nous raconte « le mystère de la boîte verte », dont l’exemplaire de luxe numéro 4 fut offert et dédicacé à FLL par Marcel Duchamp, son partenaire aux échecs, puis volé par les nazis tandis que son propriétaire était dans les camps, retrouvé par hasard à Stockholm par FLL en 1966 dans une expo, puis enfin vendu 130 000 euros par Sotheby’s à un riche collectionneur qui a été mis au courant par O. Salon de l’origine de son acquisition. On attend impatiemment la suite.

Dans la discussion qui suit ce premier tour de table, on apprend par Françoise Gaillard l’origine de L’Origine du monde : les modèles nus se faisant rares, les peintres de l’époque se servent de plus en plus de photos pour travailler. On a récemment retrouvé un croquis de Rodin représentant le même objet que celui de Courbet : même position, même forme, même cadrage… Donc L’Origine du monde a été peinte d’après photo !

Christophe Bourseiller relate quant à lui sa propre expérience chez les francs-maçons, ce qui donne envie de lire son livre « Un maçon franc ». Si les secrets sont ceux des rites et gestes qui ont été révélés il y a deux siècles, pourquoi interdire d’en parler ? S’il s’agit de l’Insondable, de toutes façons il ne peut être révélé donc trahi.

Alain Chevrier embraye avec « les lettres secrètes de Perec » (joli monovocalisme), en l’occurrence les « belles absentes » sur le nom de sa compagne Catherine Binet, dont un poème fait de vers de 35 lettres, car elle avait 35 ans. Il termine avec un filigrane de Michèle Métail, « double secret provocateur de renseignement », dont la solution est « agent », et un équivalent graphique de la forme « belle absente ».

Tiphaine Samoyault : la traduction augmente le secret

Le « motif dans le tapis » qui apparaît chez Henry James et « bondit sur lui comme une tigresse qui bondit hors de la jungle » intéresse Tiphaine Samoyault, qui constate que l’abstraction et la violence subsistent si l’on renonce à chercher le secret. Le mouvement de la traduction, lui, augmente paradoxalement ce secret.

Maurice Culot, avec « Passages secrets », a écrit un centon magnifique où sont collés des textes des plus grands auteurs dont Poe et Balzac. C’est si bien fait que l’auditeur ne s’en rend pas compte, tout en ayant l’impression d’avoir déjà lu ça quelque part…

Après la pause café, Philippe Oriol s’attaque aux « petits secrets de l’affaire Dreyfus », c'est-à-dire qu’il pourfend les historiens amateurs qui prétendent dans un livre récent expliquer l’affaire par l’homosexualité de deux attachés militaires, l'Italien Panizzadi et l'Allemand Max von Schwartzkoppen. Il s’agit de surinterprétation, d’une vision paranoïaque de l’Histoire.

En plus d’auteurs comme Alban Berg ou Fats Waller, le «roman clownesque» de Félicien Champsaur a inspiré Andrea Oberhuber. Constatant que le personnage de Lulu exerce une sorte de fascination, elle explique pourquoi avec « Les secrets de Lulu », projetant quelques unes des nombreuses illustrations du livre, intéressant également par sa disposition typographique.

Andrea Oberhuber, Bertrand David,  Paul Edwards et Philippe Oriol

Pour comprendre ce qui a pu pousser Nicéphore Niépce à croire à la possibilité de fixer des images, Bertrand David nous « révèle », c'est le cas de le dire, ses secrets. Nicéphore Niépce n’a jamais existé. Joseph prend à 22 ans le nom de Nicéphore 1er, celui qui a mis fin à la querelle des images mille ans plus tôt. Plus tard Niépce déclare qu’« on » lui a communiqué qu’il fallait utiliser du bitume de Judée. Quel « on » ? Mystère. Ce produit était utilisé par bien des peintres et graveurs, il est à l’origine des fissures et du noircissement des tableaux de l’époque, on l’appelle stercus diaboli, la merde du diable.

J’avoue avoir un peu décroché pendant la communication de Paul Edwards, président de l’Ouphopo, qui enchaîna sur «les secrets de la chambre noire», à cause d’une crise d’acouphènes qui m'en rendait trop difficile le décryptage..

Le badge arboré par les conjurés du XVIIe colloque

Au tour suivant, nous attendions un certain Jules Huchin sur « un secret de Hollande », mais coup de théâtre ! Dans l’auditoire, plusieurs personnes porteuses du même badge bizarre se mettent à conspuer le Jules en question et à le traiter d’imposteur. Julien Schuh, dont c’est curieusement l’anagramme, expulse l’individu et prend sa place pour parler des « sociétés secrètes au XIXe siècle » et de leurs conséquences esthétiques, les écrivains s’imaginant comme une société secrète pour contrer la vision paranoïaque de l’État. 

Jean-Pierre Lasalle s’interroge ensuite sur l’origine du mot « surréalité », utilisé en italique dans le Manifeste. Il en trouve trace dans les brouillons du Côté de chez Swann, où le mot a été remplacé par « réalité », vraisemblablement par Proust lui-même car André Breton, qu’on aurait pu soupçonner, ne corrige Proust qu’à partir de 1920. On le trouve aussi dans trois poètes après Apollinaire, et dans Cendrars. Mais avant, pendant la guerre ? Le mystère de l’origine du mot est entier.

Henri Béhar nous parle du poème perpétuel de Tristan Tzara, édité en mars 1958 à 22 exemplaires. Il s’agit d’un poème combinatoire écrit sur une volvelle et qui comporte 10^150 possibilités, soit plus que les 100 000 milliards (10^14) de Queneau. « Cette gravure cache un avis secret », mais personne ne l’a jamais trouvé, il faudrait endommager le livre, sans être certain du résultat. Les spéculations vont bon train.

Avec « on écrit pour fixer des secrets » Daniel Bougnoux s’en prend au démon de l’explicitation. On ne gagne rien à révéler le 1er degré, on perd au contraire en séduction. Son intervention est un véritable  pamphlet contre les démystificateurs.

Pendant la discussion qui précède le repas, Françoise Gaillard signale à Jean-Pierre Lasalle que le mot « surnaturalisme » existe chez Huysmans et peut-être aussi « surnaturalité ». À vérifier en cherchant sur Gallica. 

Nous allons déjeuner M. et moi en compagnie de Dominique de R. et de Françoise G. Confit de canard et gratin dauphinois arrosés de bourgogne aligoté. Nous voici reconstitués.

À la reprise, c’est Paul Schneebeli qui parle, sur le sujet « livre secret, secret livre », mais nous sommes un peu en retard à cause du canard et en ratons la plus grande partie. Cinq minutes, c’est si court !

Marc Décimo et Paul Schneebeli

Pierre Cassou-Noguès, très attendu par M. qui a lu les démons de Gödel, lui succède. Il se demande si les savants ont des secrets. On voudrait scruter leurs archives, mais entre le chercheur et les savants il y a… les veuves. La femme de Gödel, Adele, a notamment supprimé des archives les lettres de sa belle-mère. Pourquoi les épouses font-elles ça ? Les savants auraient ils trahi la raison ?

Marc Decimo, qui a découvert Marie-Herminie Hanin, peintre émule de Rosa Bonheur, mais aussi inventeur et promotrice du calendrier perpétuel de son père, nous révèle qu’elle a écrit à Millerand en 1914 pour lui proposer un système de défense anti-aérienne de son invention : c’est un piège à avions formé de câbles accrochés à des dirigeables. Pas con !

Pour Julien Bogousslavsky, qui propose une « clinique du secret », un secret est « une chose qu’on dit à une seule personne à la fois ». Il y a les secrets normaux, mais aussi les pathogènes. Sont évoqués ceux de Cahuzac et celui de Chirac, à l’occasion duquel on a entendu le mot anosognosie pour la première fois. Le déni est le secret, la mise au secret du trouble trop gênant.

Quelqu’un dans la salle pose une question sur Yalta. Selon Julien Bogousslavsky, il aurait sans doute été plus intelligent de révéler à l’époque l’état de Roosevelt, très affaibli, hors d’état de négocier avec ce gros malin de Staline.

Martine Lavaud et le secret des Ultima verba

Martine Lavaud nous révèle ensuite « Le secret des ultima verba ». L’agonie sous la 3e république a des journalistes pour mouchards. Mais les derniers mots du mourant sont-ils géniaux ou plutôt régressifs ? Tel Maupassant, pourtant soigné chez le Docteur Blanche, qui s’écrie « Des ténèbres Oh des ténèbres » ou le guillotiné « donnez moi mes chaussettes ». Depuis les romantiques on ne sait plus mourir.

Michel Golfier nous parle des « châteaux en Espagne de Marc de Montifaud », cette femme auteur de nouvelles « pornographiques » qui eut des démêlés avec la justice, mais qui était aussi critique d’art inspirée.

Daniel Ridge, avec « la face cachée d’un écrivain », examine les lettres échangées entre Paul Bourget adolescent et son amant, lettres qui ont ensuite servi à le faire chanter.

Jean-Paul Goujon se plonge dans quelques unes des 15 000 pages relatant des exploits sexuels, écrites et cryptées en prétendu sanskrit et pendant 30 ans par un « architecte polygame », Henri Alphonse Legrand, mort de syphilis, découvert (et décrypté) par Pierre Louys. Édifiant.

Jacques Neefs se pose la question « le roman peut-il garder un secret ? » D’habitude le roman révèle le secret dont il tire l’élément narratif. Mais quand Sade écrit dans La Philosophie dans le boudoir « il parla bas aux deux femmes », c’est au lecteur d’imaginer ce secret qu’il est le seul à ne pas partager…

Daniel Zinszner et Hervé Le Tellier

Hervé Le Tellier se penche sur les « secrets de fabrication » de la littérature. Certains Oulipiens sont pour les révéler, d’autres pour les cacher. Par exemple, les secrets de fabrication des débuts de roman. Tout a-t-il été fait ?

Un coup de fatigue a rendu mes notes sur l’intervention de Marc Zammitt, «un secret pour personne», totalement illisibles. Elles resteront donc secrètes à part celle-ci : « le secret est-il dans la question ou dans le langage avec lequel nous la posons ? »

L’intervention de Daniel Zinszner, « Index du secret, secrets de l’index », traite de My secret life, catalogue d'exploits érotiques écrit par un anonyme anglais, mais publié à Amsterdam par des typographes non anglophones. Or ce livre comporte un index mystérieux, à la fois insuffisant et redondant…

Après une pause opportune, le colloque reprend avec « Secrétions » et Marc Hanrez qui, visiblement non utilisateur de réseaux sociaux, reprend les clichés les plus éculés dont Finkielkraut se fait aussi l'écho : il n’y a plus de secret à cause d’Internet et c’était mieux avant…

Sur la « Secrétivité », Romain Enriquez a découvert un chapitre dans un livre de phrénologie. La sécrétivité est innée, elle est localisée dans un endroit du cerveau, elle est parfois involontaire. Le secret a une fonction morale et sociale. Mais les criminels ont besoin de dissimuler. C’est le début de l’anthropologie criminelle.

Françoise Gaillard, avec « l’oncle Sam a de grandes oreilles », réfléchit à l’aide de Machiavel sur la question du secret dans le pouvoir. Là où il y a secret il y a pouvoir. Il s’agit de protéger le pouvoir du regard qui en révèlerait le vide. Nos hommes politiques ont donc besoin des fuiteurs qui, en révélant des prétendus « secrets », nous font croire qu’ils sont réellement aux manettes…

Clément Carbonnier aborde le secret fiscal avec un titre mystérieux composé des noms des articles du code général des impôts et du livre de procédures fiscales. LPF : L103, L166D… Un domaine de spécialistes, j'aurais trop peur de retranscrire ici des bêtises.

Dominique Noguez, Pierre Conesa, Olivier Bessard-Banquy, et Emmanuel Pierrat

Olivier Bessard-Banquy livre aux naïfs que nous sommes les « petits secrets de l’édition ». Le secret fait vivre l’édition et vise à faire croire au génie de l’auteur, même quand celui-ci ne sait pas écrire. On joue ici sur le fétichisme qui lie le lecteur au livre. Nous avons tous foi en la pureté du livre...

Dominique Noguez se penche de façon très émouvante et personnelle sur les secrets divulgués brutalement dans les journaux intimes. Leur auteur affronte alors la honte et le remords. Honte d’être nu en pleine vue et remords d’avoir compromis quelqu’un. Sur la honte, Montaigne conseille «qu’on n’ait pas honte de dire ce qu’on n’a pas honte d’éprouver». Mais sur le remords d’avoir compromis les autres… N’est-ce pas finalement la fatalité de toute littérature ?

Les organisateurs — Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens — avaient mis à la fin deux communications explosives. Celle de Pierre Conesa traitant du « secret défense » et du « secret d’État », et celle d’Emmanuel Pierrat, sur les « Écrivains au secret professionnel ». Il serait trop dangereux pour moi de vous en révéler la teneur.


EC