26 juin 2012

Juin pluvieux à Paris (Sonnet)


Le ciel est blanc laiteux et les toits de zinc luisent,
Tellement ruisselants qu’on dirait des miroirs.
Les antennes sont sans oiseaux sur leurs perchoirs,
Et les cheminées rouges sont devenues grises.
Les pétunias mouillés déchirent leur chemise,
Des géraniums flétris le rose tourne au noir.
Dix heures, même pas, et on dirait le soir !
La tour Eiffel au loin se devine, imprécise.
J’entends bien qu’on me dit : — « Tout ceci est normal,
C’est le réchauffement climatique ou global,
Les vaches en rotant produisant du méthane,
Et nous du céhaudeux à tire larigot
Avecque nos autos et nos aéroplanes. »
Pourtant, nous avons froid, nous autres Parigots.
EC

17 juin 2012

Dans le pré de Madame Carle

La cascade qui coule du Glacier blanc, vue du Pré de Madame Carle

Dans le pré de madame Carle,
D'un versant à l'autre des monts,
On entend les oiseaux qui parlent
Et le bruit du glacier qui fond.

Le silence est une verdure,
Le ciel est d'un bleu sans pareil ;
Ah pourvu que cet instant dure !
Il est midi sous le soleil.

La neige vole avec le vent,
Formant de petites fumées
Sur les crêtes qui sont devant
Nos pupilles émerveillées.

Surgissant d'une gorge sombre
Entre deux rochers élevés
Qui lui font quelques taches d'ombre,
La langue blanche d'un névé.

Le Pelvoux à la double cime
Incline ses fronts bienveillants
Sur des torrents et des abîmes
Qui ne sont pas plus effrayants.

Du glacier la cascade pisse
Un liquide blanc et crémeux,
Ouvrant les roches de ses cuisses
À l'alpiniste aventureux.

Les marmottes que les touristes
Nourrissent de Kinder Bueno
Ont de l'eczéma et l'air triste :
Mieux vaut leur donner des pruneaux ! 

EC 14 juin 2012






16 juin 2012

Le Queyras

Un des cadrans solaires de Saint-Véran, Queyras. (2042 m)

Le mélèze à la tendre aiguille
Sur le bord du torrent laiteux
D'un treillis vert mousseux s'habille
Étirant ses bras duveteux.

Sur le mur le cadran solaire
Révèle en quelques mots latins
Dans une image circulaire
La tristesse de nos destins.

Plantées dans des endroits visibles
D'imposantes croix de mission
Portent les symboles terribles
Des instruments de la Passion

Se chauffant le cul sur l'asphalte
Des marmottes aux poils touffus
Nous obligent à faire halte
Et à nous excuser, confus.

Le Viso souverain culmine
Pyramide lointaine, hélas,
Dont la silhouette domine
Les paysages du Queyras. 

                                                           E.C. le 11/06/2012

Une marmotte du Queyras
Une croix de mission


Le Viso, vu du col Agnel, 2e plus haut de France (2744 m)


07 juin 2012

Mercure

La lame 19 du tarot de Marseille
Dans les années soixante-dix, l’astrologie et les tarots étaient à la mode. Vêtue de noir avec une écharpe arc-en-ciel je tirais les cartes.
Au tarot astrologique, je découvris un enfant caché dans le couple d’une collègue. Et au tirage en croix, j’en fis gagner plus d’un au PMU.
Ma réputation avait gagné le bistrot d’en face dont la tenancière me fit mander un jour. L’estaminet puait la pisse et attirait les mouches.
Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu’un troquet excentré ne pouvait pas survivre. Mes cartes conseillèrent le déménagement.
Dix ans après, la dame ayant suivi ce conseil me reconnut dans son café du centre de la ville, et ne permit point que je lui règle ma bière.
Un mystérieux pendentif, que j’arborais avec componction, ajoutait encore à mon prestige. C’était du mercure enclos dans une bulle de verre.
Pourquoi du mercure ? Parce que c’est le métal attribué au signe des Gémeaux, et je suis justement de ce signe astrologique, c’est logique !
M. en avait rapporté de la fac dans un petit flacon —c’est en effet un métal liquide — ainsi que quelques tubes de verre minces et fragiles.
Avec un chalumeau, il avait déformé le verre. Puis il y avait introduit le mercure et refermé le tout en boucle en le chauffant à la flamme.
C’était un beau bijou, qui le cas échéant, formait aussi pendule au bout de sa chaîne. Je le portais au cou quand nous partîmes en vacances.
Nous étions quatre, dans la Lada pourrie de M., et il pleuvait à torrents. C’était sinistre. Nous approchions du col du Petit Saint-Bernard.
— Fais venir le soleil ! me demanda-t-on, car l’on croyait en mes pouvoirs. Et je sortis du jeu de tarots la lame dix-neuf, celle du Soleil.
Tout en balançant mon pendentif de mercure au dessus de la carte, je prononçai quelque formule magique incantatoire à l’intention du soleil.
Et tout-à-coup, deux événements quasi simultanés se produisirent, qui firent pousser des cris aux 3 occupants de la voiture, et à moi aussi.
Primo le ciel se troua, les nuées se dispersèrent, et le soleil apparut dans sa gloire. Secundo mon pendentif explosa, projetant le mercure.
Il y en avait partout. Nous nous arrêtâmes aussitôt pour recueillir les boulettes de métal avant qu’elles n’attaquent le châssis de la Lada.
Le phénomène fut expliqué aux enfants : la pression étant plus faible à 2188 mètres d’altitude, il se produit une surpression dans la bulle.
En effet, celle-ci étant hermétiquement fermée, la pression extérieure et la pression intérieure ne pouvaient s’équilibrer, d’où explosion !
Et le soleil ? Ah, le soleil… Eh bien, il est assez fréquent que le temps soit différent des 2 côtés d’un col. La montagne arrête la pluie !
Ces explications scientifiques furent accueillies certes avec respect mais aussi avec de la méfiance. Quand-même, on m’avait bien vu faire !
Je ne tire plus les tarots ni ne fais venir la pluie ou le soleil. Non que j’aie perdu mes pouvoirs, mais parce que les gens y croient trop.
EC
Texte écrit en 21 × 140 caractères. Pourquoi 21 et pas 22 comme le nombre de lames du tarot ? Parce qu'il y a une lame, justement, qui ne porte pas de numéro, et qui sous-tend l'ensemble du récit. 

05 juin 2012

Le scorpion

La vue, depuis le porche de l'église de Chabeuil

C’est une église massive et laide, dressée sur une colline friable, qui domine le village. De son porche, on a une belle vue sur la vallée ;
On y accède par un escalier monumental jadis bordé par une large rampe de pierre brillante, polie par des générations de fesses enfantines.
Du temps de sa gloire, elle résonnait des sons de l’harmonium et des voix chevrotantes des dames de la paroisse, chantant la messe en latin.
J’y accompagnais ma grand’mère. Petite et mince, branlant la tête depuis une attaque, elle était vêtue en dimanche avec un bibi à voilette.
« Asperges me, Domine, hyssopo et mundabor : lavabis me, et super nivem dealbabor. Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam Tuam. »
C’est ainsi que cela commençait, toujours. Le prêtre se baladait de long en large en balançant son encensoir suivi de ses enfants de chœur.
Je trouvais le temps long et les dames ridicules, surtout celles qui prononçaient les sons « ou » en « u » (comme le fait Johnny Hallyday).
Mes yeux allaient des images du missel aux statues de plâtre coloré : Notre-Dame nous tendait les bras, Saint Georges terrassait son dragon.
Un jour, l’ennui dominical fut bousculé par un événement peu ordinaire. J’étais à genoux, à droite de ma grand’mère, près d’un gros pilier.
L’interminable Credo avait été chanté, ainsi que le Sanctus bêlé « Sanctusse » par les vieilles bigotes castafiores serrées au premier rang.
Dans le pieux recueillement qui précède l’Élévation signalée d’une discrète sonnette, on entendit le fracas soudain d’un prie-Dieu renversé.
Celui de Grand’mère, qui s’était dressée de toute sa petite taille, son petit sac à la main, et qui martelait la dalle de ses petits talons.
Derrière sa voilette baissée, on pouvait lire l’expression de son visage, qui montrait tour à tour la rage, le courage et la détermination !
Oui, à l’instar de Saint-Georges terrassant le dragon, ma grand’mère était en train d’écraser un scorpion. Elle ne lui laissa aucune chance.
Une fois la bête exterminée elle en poussa les restes contre le pilier de la pointe de son petit pied et revint s’agenouiller à côté de moi.
Un tonnerre silencieux d’applaudissements intérieurs emplit mon cœur et la nef. Ce meurtre accompli ma grand’mère, calmée, partit communier.
À la sortie de l’église après l’ite missa est, quand je dévalai, comme à l’habitude, mon toboggan de pierre, j’étais fière de ma grand’mère.
EC

01 juin 2012

La guêpe

Je m'aperçois que la contrainte du texte formé de paragraphes de 140 caractères chacun se prête très bien aux récits, aux petites histoires vraies, aux souvenirs. Alors voici un de ces souvenirs, qui date d'une bonne vingtaine d'années. Il s'appelle « La guêpe ».
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Au mois d’août, en Ardèche, il fait trop chaud pour déjeuner dehors avec les enfants. La cuisine aux murs épais, offre un peu de fraîcheur.
M. a fait des poires au vin, c’est un dessert traditionnel de la vallée du Rhône. Mais en les sortant du frigo je pousse un cri de surprise.
Une guêpe s’est noyée dedans ! Son petit corps est recroquevillé, les pattes repliées comme il convient à une morte. Je la cueille du doigt.
Les enfants m’entourent aussitôt. Ils sont curieux, respectueux, graves et attentifs comme les médecins de La Leçon d’anatomie de Rembrandt.
On compte les pattes, on nomme le thorax, l’abdomen strié de jaune et de noir, la fine taille qui les sépare, les mandibules, les gros yeux.
Délicatement, je retourne l’insecte pour qu’ils examinent les deux paires d’ailes, toutes poisseuses de confit de vin et les antennes mais ?
— Oh, elle a bougé une antenne ! s’écrie l’un de mes neveux, dont l’accent du midi semble encore plus intense avec la surprise. Je regarde.
Il a raison, l’antenne droite de l’hyménoptère, engluée et luisante de sirop, s’est animée de faibles mouvements. L’insecte n’est pas mort !
Les têtes se rapprochent de mon doigt le long duquel, à présent, la guêpe essaie vainement de ramper. — Apportez-moi un verre d’eau, dis-je.
Sous des yeux ébahis, je trempe le doigt de l’autre main dans l’eau et me mets à laver très doucement les ailes qui essaient de se déployer.
Elle fait de gros efforts, la guêpe. Les gosses l’encouragent lorsqu’elle arrive enfin, après plusieurs lavages, à déplier la première aile.
Puis c’est la deuxième. — Elle va te piquer, dit une petite voix. Je rassure l’enfant, les guêpes ne piquent que lorsqu’elles sont menacées.
Celle-ci sait à qui elle doit son salut. Elle agite ses ailes frénétiquement, marche vers le bout de mon doigt, hésite un peu, et s’élance !
Avec un murmure émerveillé, bouche bée, les petits suivent le vol erratique. Elle est saoule, la guêpe, dit l’un deux. Et tout le monde rit.
Et voilà comment à peu de frais, on peut s’assurer pour la vie ou presque, l’admiration, la confiance et le respect des jeunes générations.
EC