26 février 2011

Clavier muet

La seule façon correcte de parler de la mort doit être pataphysique, c’est-à-dire scientifique. 
L’œuvre gaiement thanatologique de Jean-Louis Bailly voit s’imbriquer deux récits  comme deux voix d’une invention : celui d’une inexorable décomposition de trois ans qui fait se succéder sur le cadavre d’un pianiste les huit escouades nécrophages décrites par Mégnin en 1894, et celui de sa vie brève de virtuose autiste et cocufié. 
Le clavier muet sur lequel il s’exerce est le jumeau d’un squelette enfin débarrassé des cordes de ses nerfs, des marteaux de ses muscles, des feutres de sa peau.
Vers la poussière a été édité en 2010 chez Arbre vengeur et coûte 13 euros. 

12 février 2011

Fantômas


Il aurait frémi, le passant qui serait passé, aux alentours de 20 heures ce vendredi 11 février 2011, dans l’étroite et sombre rue du Volga, une des rues les plus mal famées de ce vingtième arrondissement de Paris, en longeant la blancheur légèrement phosphorescente d’un portail ouvrant sur un atelier dont les fenêtres grillagées et les vitres dépolies laissaient cependant apercevoir de la lumière et deviner la présence d’une nombreuse assemblée. 
Il aurait frémi en entendant sourdre de ce portail une étrange mélopée, dont une oreille exercée pouvait percevoir certaines paroles propres à lui hérisser le poil ! 
« Insaisissable  criminel ! », invoquait une voix sépulcrale.
« Canardez-nous ! » répondaient avec conviction une quarantaine de voix tant masculines que féminines. 
« Sinistre bandit ! » continuait la voix. 
« Endormez-nous ! » implorait la foule. 
« Énigmatique forban ! » poursuivait le maître de cet étrange culte. 
« Kidnappez-nous ! » gémissait l’assemblée avec force. 
« Ah, quelle église impie, quelle secte criminelle cet atelier abrite-t-il donc ? » se serait interrogé notre passant potentiel. Mais s’il lui avait été donné d’observer ce qui était dissimulé à ses yeux par les murs épais de l’atelier du mystère, ce n’est pas un frémissement qui l’aurait parcouru, non ! mais bien une tétanisation foudroyante de tous ses muscles, comme seules peuvent en provoquer l’épilepsie ou l’électrocution ! 
Car dans l’antre maudit d’où s’échappaient ces litanies, il aurait immédiatement remarqué, sur un autel de fortune dressé à la droite de l’officiant, les affreux instruments des plus épouvantables supplices, colorés du sang encore frais de leurs récentes victimes !
Là pendait le crochet de boucher, dégouttant d’un liquide qui n’avait jamais circulé dans les artères d’un bœuf, d’un cochon ou d’un mouton. Là reposait la hache, au tranchant coloré d’un odieux vermillon. Des flacons contenant les poisons les plus foudroyants étaient disposés sur la nappe ainsi que des burettes sacrilèges. De la lame dégoulinante d’un massicot, dépassait une main encore palpitante. Une corde de chanvre — ayant servi à quels étranglements ?  — était nouée au dessus de la table. Un crucifix ensanglanté, suprême blasphème, émergeait d’un fouillis de perruques, de masques, de fausses barbes et de faux cols.
À coup sûr notre passant se fût évanoui…
Il aurait ainsi failli à constater avec quel entrain et quelle gaîté les fidèles qui venaient d’accomplir ce sombre rituel s’étaient précipités, sitôt les mots «ainsi soit-il» prononcés, sur les dizaines de bouteilles de vin blanc et de vin rouge mises à leur disposition, attitude contrastant étrangement avec le sérieux dont ils faisaient preuve les minutes précédentes.
Comment ces gens (dont certains étaient octogénaires), pouvaient-ils paraître si heureux et si détendus, comment pouvaient-ils trinquer sans aucun souci apparent et rire si franchement alors qu’à un mètre d’eux à peine étaient étalées en chair et en os les pires horreurs dont leur inconscient puisse nourrir les rêves des psychopathes ?
C’est que cette mystérieuse assemblée, cette réunion aussi clandestine que repoussante, était le fait de collégiens ! Oh, certes, pas de collégiens dans l’acception vulgairement scolaire du terme, non, mais dans celle de membres d’une société secrètement fausse et faussement secrète, confidentiellement illustre et ouvertement confidentielle, littérairement scientifique et scientifiquement littéraire, en trois mots le fabuleux Collège de ’Pataphysique!
On sait que les optimates de cette société ne divisent pas le temps selon nos habitudes qu’ils qualifient de vulgaires, et ont adopté un calendrier nouveau. Ce calendrier, toujours en usage dans leur cercle restreint, a ceci d'original qu'il intègre à ses mois des jours imaginaires hors-semaine (le 29 Gidouille, plus le 29 Gueules pour les années bissextiles), ce qui lui permet de former 13 mois réguliers de 28 jours chacun (avec une exception, pour confirmer la règle). Il a aussi ses saints propres, qui n’ont que peu de choses à voir avec les saints de la religion catholique romaine. C’est ainsi que Saint Fantômas, archange, se célèbre chez eux le 3 Tatane (date correspondant au 16 juillet de notre calendrier) en compagnie de Se Crapule, puriste.
Ce que célébraient en effet, dans ce lieu reculé et sinistre de l’Est parisien, les membres de cette société secrète, c’était le centenaire du Maître de l’Effroi, du Roi du Meurtre, du Génie du Mal, bref le centenaire de Fantômas, héros maléfique du roman feuilleton de Souvestre et Allain !
La soirée, initiée par le Régent Pierre David, collectionneur obsessionnel de reliques de Fantômas, avait commencé par la visite d’une exposition issue des circonvolutions con-tournées de la cervelle du Régent Azerthiope, expert en horreurs de toutes sortes, à partir des documents fournis par ledit Pierre David et photoshopés par l’équanime rédactrice de ce blog, et de sa propre collection d’objets immondes, le tout sur fond de complainte de Fantômas de Robert Desnos et Kurt Weill chantée par Léo Ferré, trouvée à l'INA par l'équanime citée ci-dessus et dûment gravée par Will Noonan
Elle s’était poursuivie par la lecture d’un centon de François Le Lionnais intitulé De la redondance chez Vestrain, fabriqué à partir des dernières phrases des 32 épisodes de Fantômas écrits par Souvestre et Allain. 
Puis par la lecture, par l’auditeur emphytéote Alain Chevrier lui-même, de deux poèmes de Max Jacob sur Fantômas et d’un poème érotique faussement attribué à Apollinaire mais œuvre du Transcendant Satrape Pascal Pia
Puis par l’interprétation torride d’un dialogue entre l’atroce Fantômas (interprété par Roger Lajus) et sa maîtresse, la belle Lady Beltham incarnée dans l’inoubliable Pauline
S’en était suivi le numéro prodigieux d’un spécialiste incontesté du crime, le célèbre historien Dominique Kalifa, auteur incommensurable de L’Encre et le Sang
Puis par celui de l'illustre romancier Didier Blonde, nous dévoilant les avatars de la cagoule de Fantômas ! 
Puis enfin par la projection au cinématographe d’une œuvre étonnante de Moerman, Monsieur Fantômas, film surréaliste, présenté par le Régent Stéphane Mahieu
Et c’est au moment de la récitation collective des litanies de Saint Fantômas, archange, que notre imbécile de passant potentiel serait passé, ratant le début et la cause, et ignorant à jamais les mystères de la ’Pataphysique !

07 février 2011

France

À l'occasion du 50e anniversaire de la construction du paquebot France,  et d'une exposition du musée de la Marine avec les 6 lettres de FRANCE disséminées dans les salles, reportage sur France 2 : archives de discours de De Gaulle et témoignages divers, parmi lesquels celui d'un mec qui déballe d'un carton une de ces lettres lumineuses, qui étaient parait-il visibles de fort loin. — Quelle lettre est-ce ? demande le reporter. — Je crois qu'il s'agit du F, répond le déballeur. — F comme quoi ? demande intelligemment le reporter. — F comme Foutaises, répond M. avant lui.

04 février 2011

Exponentielle ?

Aux infos d'hier ou d'avant-hier, une journaliste retraçant l'histoire de la crise financière parle, à propos des hedge funds, d'une « prise de risque exponentielle » (sic). 


— Que veut-elle dire par là ? demandé-je, perplexe, à M. plongé dans son bouquin et qui n'écoute que d'une oreille.

Il lève les yeux et me répond :

— Sans doute qu'elle n'est pas logarithmique.