25 août 2008

Variables complexes

En lisant l'autre jour le carnet du Monde, à moins que ce ne fût (cet imparfait du subjonctif est encore destiné à A. C.) celui du Figaro, je tombai en arrêt devant l'annonce de la mort d'Henri Cartan, mathématicien que je m'imaginais disparu depuis au moins quinze ans.
— Incroyable, Henri Cartan est mort à 104 ans! dis-je à M., qui l'avait eu comme examinateur autrefois.
— Eh bien, me dit-il, ça conserve, les variables complexes !

Puis, passant d'Henri à Élie son père, grand mathématicien lui-même, M. me narra l'anecdote suivante qui, dit-il, circulait oralement dans leur petit cercle mais reçut, par Jacques Roubaud qui la raconte dans Mathématique à propos de la distraction des mathématiciens, «l'autorité de la chose écrite».

Laurent Schwartz, autre illustre mathématicien, s'était réfugié pendant l'occupation en zone libre, à Lyon, où il enseignait sous un faux nom. Un jour, dans les transports en commun, il fut reconnu par Élie Cartan, son ancien prof, qui lui cria d'un bout à l'autre du bus : «Schwartz! J'espère qu'on ne vous fait pas des ennuis parce que vous êtes juif! Ce serait tout de même scandaleux!» Par bonheur, aucun collabo ne se trouvait ce jour là dans le bus.

12 août 2008

Mauve

La nuit dernière j'ai encore rêvé un alexandrin, mais celui-ci sera difficile à caser dans un sonnet de bureau... J'intimais à une sorte de grosse musaraigne à poils mauves et aux yeux globuleux l'ordre solennel de descendre jusqu'à « l'intitulé profond des sources de la Terre ».

11 août 2008

Lessay


C'était le 18 juillet dernier, jour de battement entre le colloque de Cerisy et la semaine Pirouésie. Nous sommes allés revoir l'abbaye de Lessay, où nous avons surpris des baroqueux en pleine répétition. Nous avons donc pris des places pour le concert du soir. L'abbatiale était pleine (600 personnes) et l'éclairage dirigé sur les musiciens projetait sur les fûts des piliers l'ombre de la croix du chœur, de sorte que le Christ ressemblait à une danseuse hindoue (mon croquis). L'ensemble était le Café Zimmerman. Ils avaient entre autres mis au programme le deuxième brandebourgeois. Hélas, hélas, la trompette baroque est un instrument casse-gueule. Et les couacs dans l'allegro m'ont gâché le souvenir du reste.

08 août 2008

Souci

Les kiosques sont fermés, vides sont les bistros,
Clos sont les restaurants et déserte la place,
Muette est la cour d’école, abandonnée la classe,
Plus un tabac ouvert, rares sont les métros.

Pendant les mois d’été la rue est en travaux.
Voitures ou vélib, plus personne ne passe,
Seuls deux ou trois piétons marchent dans la caillasse.
Les magasins de fer ont baissé leurs rideaux.

Les patrons sont absents et je n’en suis pas triste,
Seul le DAF est ici (c’était un juillettiste).
Personne sur le dos, on va pouvoir buller,

Songe le salarié qui s’endort sur sa chaise
Regrettant toutefois ce souci qui lui pèse :
La machine à café n’a plus de gobelets.

EC

05 août 2008

La clim

Sombres devant l’écran, trois employés assis.
L’immeuble s’est vidé, ils sont tous à la plage.
Eux restent au bureau et étouffent de rage.
De rage seulement ? Non de chaleur aussi.

Et cette chaleur d’août ajoute à leur souci
À leur blues, à leur doute. Ils se savaient en cage
Et voilà qu’à présent ils se sentent en nage.
Soudain, n’y tenant plus, l’un d’eux lève un sourcil :

— Ça vous dérangerait si je mettais la clime ?
Les deux autres, jugeant ce débat légitime,
S’échangent des regards et répondent : d’accord.

Sur la télécommande on s’exécute alors,
Si bien qu’en un quart d’heure on se croirait au pôle,
Vu le coulis glacé qui vous transit l’épaule.

EC

01 août 2008

Différences


Les photos de Cerisy-la-Salle étaient en ligne, celles de Pirou le sont aussi. Ces deux villages du Cotentin, proches de quelques kilomètres, sont pourtant distants de cent lieues. Dans le premier, un château qui vit la naissance de l’Oulipo, où se tiennent aujourd’hui des colloques de grande tenue, rassemblant des universitaires et des auteurs de tous pays. Dans le second, un presbytère modeste aux toilettes rustiques et au plancher jonché de mouches mortes, accueillant «Pirouésie», un mini festival familial qui tient du patronage, du stage d’écriture et de la cure plage-forêt-bulots-cidre. Moi qui ai vécu les deux événements en enfilade, je peux dire que les uns et les autres ne savent pas ce qu’ils ont perdu en n’en suivant qu’un. À Cerisy, les concepts volaient haut malgré le froid et la pluie, les débats étaient vifs. On se réchauffait le soir à la cave au calva, des amitiés se sont nouées, des projets ont vu le jour. À Pirou, il a fait beau, on s’est baigné, on a bronzé, on a bien rigolé, on a retrouvé les copains et on en a rencontré d’autres de tous âges et horizons. Les G. O. (Jacques Jouet, Robert Rapilly, Coraline Soulier et Martin Granger) étaient super, mais les textes produits pendant la semaine paraissent avec le recul bien ineptes. Sans doute le thème imposé (Falstaff, ça parle à peu de gens) ne se prêtait-il pas bien à l’exercice, le rythme forcené imposé par la nécessité de produire un spectacle à la fin (pour les subventions sans doute ?) n’était-il pas propice à la création, et les promenades-découvertes en forêt, au moulin ou au château de Pirou avaient-elles un petit goût de réchauffé de l’année dernière. Qu’importe ? Nous en avons profité quand-même. Martin nous a fait chanter à 4 voix, ce qui ne m’était pas arrivé depuis un bail, et j’ai eu la joie de voir Raoul faire ses premiers pas sur l’herbe du presbytère.

Sur le chemin du retour vers Paris, accompagnés de ML, nous avons fait escale chez AC qui nous attendait avec champagne et gâteaux secs, et nous a fait l’honneur de son extraordinaire bibliothèque.