27 mai 2008

Formules 12


Le numéro 12 de Formules est paru.
Il est consacré au sonnet contemporain, avec, entre autres, les actes du colloque «Retours au sonnet» qui s'est déroulé à Poitiers l'été dernier.
On trouvera ici le sommaire complet du numéro, et ici les éditoriaux.
Parmi les poètes invités, Jacques Roubaud et Dominique Buisset donnent une magnifique «quatorzine luberonne», dont on pourra télécharger, en PDF sur cette page, le «making of» sous forme d'échanges de courriels savoureux entre les deux auteurs.
L'illustration de la couverture est le «pictogram sonnet» d'Eduardo Kac.

En vente dans les (très) bonnes librairies ou sur demande à revue.formules[at]wanadoo.fr. (Remplacer le [at] par l'arobase, c'est pour éviter l'aspiration automatique d'adresse par les spameurs)

1 commentaire:

  1. Ouvrir les yeux ? Plus tard. Que Chamontin travaille...

    Que Roubaud lui, s'attache à faire œuvre qui vaille,

    Que chacun trime comme un fou...

    Non... Pour ma part le soleil d'août

    M'aide à compter les trous de mon chapeau de paille.


    Bonjour Elisabeth Chamontin - il n'est pas tout à fait vrai que je ne fiche rien. Mais il arrive que l'on me pardonne mal ce que je fais... Alors mieux vaut pour moi ne pas trop m'en vanter !

    Le Sonnet contemporain / Sonnailles de phonétique appliquée

    Je me demande si la préciosité ‒ maîtrisée, calculée ‒ n’est pas une caractéristique fondamentale de toute poésie, liée à la pudeur de la conscience de notre condition verbale. L’habitude nous la cache ou la déguise. Dans le terme « préciosité » j’inclus le contournement formel, aussi bien la rime et le nombre comme participant d’une manière de mise à distance qui n’a pas attendu Brecht.

    Quelques réussites poétiques françaises lui sont dues, autant qu’à la lucidité quant au jeu poétique c’est-à-dire quant au jeu absolu de la langue - le jeu poétique très justement assimilé au jeu d’adresse par Malherbe, qui cherchait à doucher le sérieux de ses pairs. Préciosité ? Pointes, grandiloquence et ridicules... L’apparat ni l’apprêt de la langue racinienne n’en sont exempts. Ce décorum ni plus ni moins dérisoire que toute entreprise humaine n’en est pas moins choisi.

    Dans son poème intitulé la Gloire du Val de Grâce, Molière nous instruit de Mignard – le poète nous instruit du peintre – déjà par son métier, son geste, son poieîn. Sa manière en elle-même est riche de matière ; la transformation de sa langue natale en poème est une avancée sur les chemins de l'art, un art que le prétexte d'une peinture l'oblige à mettre en œuvre.

    Ainsi l’art parle-t-il en lui-même tout autant, sinon davantage, que la description du sujet qui l’appelle.

    "L'anecdote n'est qu'un prétexte. Le véritable sujet est la Beauté" nous dira Mallarmé...

    "Mais il y faut du temps.
    "Le temps a grande part
    "Aux ouvrages de l'art" écrira La Fontaine...

    Si ce n'est pas le temps passé à les faire qui prouve la qualité des œuvres ("Vingt fois sur le métier..."), ce sont les qualités des œuvres, qui prouvent ce qu'elles ont coûté de temps. Cela explique - aujourd'hui encore - l’injonction de Boileau... Souvenons-nous que Malherbe, généreux au terme de son exigence, accordait au poète ayant réussi à achever un "bon" sonnet dix années de repos. Etrange degré de conscience de ce qu'est, ou peut être, un poème, à commencer par certaine idée de la difficulté de l'entreprise poétique, lorsqu'elle se défie du tout-venant. Le vers atteint sa forme à force de glacis.

    Tout récemment encore M. Guillaume Peureux écrit dans Analyser le vers (Gallimard/Education - avril 2008) que "la poésie mesurée ou syllabique perdure de nos jours". Il donne à l'appui de cette assertion nombre d'exemples. Sans doute n'a-t-il pas tort. Mais ce n'est pas seulement syllabique : c'est phonétique, microphonétique, synesthésique, que cette poésie parfois s'efforce de rajeunir ses anciens modèles, pour rendre compte plus concrètement de sa puissance expressive.

    Car il ne s’agit ni de reproduire les formes du passé, ni de jeter un discrédit involontaire, à force d’ajouts maladroits, sur une rigueur formelle déjà malmenée ou dénigrée par maint théoricien du siècle dernier.

    Lorsque je dis "synesthésie", je ne pense pas aux antécédents - ni de Baudelaire ni de Rimbaud -, qui en ont parlé extérieurement, de façon descriptive, sans que la matière de leur œuvre même rimée soit véritablement affectée du propos qu'ils tenaient. (Trop souvent le programme est pris pour la réalisation...) Mais chez les modernes français je songe d'abord à Messiaen, qui durant toute sa vie a évoqué et prouvé ce phénomène comme sous-tendant ses compositions musicales, - tout en déplorant que cette déviation sensorielle affecte si peu de gens. Il ne s'agit plus d'analogies littéraires. Mais de phénomènes rendus vérifiables par les stimulations modernes des neurosciences (stimulations visuelles, auditives, olfactives)... et de vérifications de connexions neuronales, chez le "synesthète" entre des aires cérébrales que les cerveaux "normaux" maintiennent cloisonnées.

    Concernant la psychologie de la perception, je suis persuadé que les maîtres du Grand Siècle poétique français ont pressenti les ressources d'expressivité offertes par l'exploitation intuitive de ces phénomènes.

    "Comme si, s'élevant de plus belle en plus belle,
    "Le sort par ces degrés tâchait d'approcher d'elle (...)"

    composition cornélienne (Andromède) des "é, â" et des "è, a" plus clairs, appuis consonantiques durs des "r" et des occlusives, puis résorbés dans les chuintantes, faisant ce vers de... roche friable. Rions d'une subjectivité probable ! Mais relisons, et écoutons...

    "Chantons mes sœurs, chantons ; et que puissent nos chants
    "Du cœur d'Assuérus adoucir la rudesse (...)"

    les voyelles u, i, oeu, leur mouvement tournant dans les sifflantes et les dentales font du distique un serpent qui se tord au soleil... et change de couleur. Etc.

    La leçon, ponctuelle (pour commencer), peut s'élargir aux proportions de l'insondable. Musique des transparences, dit-on de Gualtieri ; liturgie de cristal, d'un quatuor de Messiaen... « Vingt fois sur le métier » ; le vers, la forme atteinte à force de glacis...

    Dans le site « theatreartproject.com » les pages 'Couleur Gualtieri' et 'Au sujet d'Adonis' (réaction à la prédiction d’Antoine Vitez concernant un "retour de l'alexandrin") développent et précisent mon propos. (Il n'est pas impossible que Jacques Roubaud se souvienne d'Adonis...)
    Les pages 'Poésie : les Dessous du langage' (Revue des Etudes byroniennes, Volume IV, II - mars 2008) y exposent largement le projet artistique.
    'Vers un théâtre d'art' (Cahiers Paul Valéry 10 - Lettres modernes Minard, octobre 2003) donne enfin l’exemple d’une application précise.

    Une "raison" de l’art, son utilité même, ne tient-elle à quelque volonté d’élargissement, d’exploration de l’univers des sensations humaines… A travers les difficultés de cette humaine condition, la poésie propose une tentative de communion. Le théâtre d'art la sort des livres, lui donne sa dimension 3D. (*)

    La part et la place du sonnet dans ces "résurgences, éclipses", dont il fut récemment parlé en haut lieu poétique ?...

    Ne s'occupant de poésie que destinée au théâtre, il arrive malgré tout - rarement, pour changer de prison - que l'on tente l'écriture de sonnets en rapport de composition avec la synesthésie évoquée plus haut, - ce que la médecine appelle "l'audition colorée". On s'efforce toujours d'enchérir sur les contraintes de la forme classique : recherche syntaxique, rime permanente et interne, pressions et détentes vocaliques...
    Il ne s'agit ni de reproduire les formes du passé ni de se contenter de répéter les formes du présent.

    Exemple d’un travail portant sur les semi-voyelles et les diphtongues, l’inversion des rimes terminales masculines féminines des quatrains aux tercets - cf. le sonnet en "yx" de Mallarmé), la couleur du miroir, la suggestion du sens :


    "Pas un mot, pas un vent… Rien, mon Saule, n’effeuille
    "Un si frêle miroir où déjà le jour meurt…
    "Mais entière et parfaite est la paix qui m’accueille,
    "Et mes pas semblent faits pour ces lieux sans rumeur.

    "Te voici, mon bel Arbre, et si doux je les veuille,
    "T’approcher de ces pas ne m’en fait pas moins peur :
    "Moire offerte à mes yeux par un ciel couleur feuille,
    "Trop d’espoir, trop d’amour peuple et hante mon cœur.

    "Qui ne sait, beau Miroir, que la vie est un leurre ?
    "Que la mort est légère à qui veut que tout meure ?
    "Les bois purs de tes bras sont d’un tendre cercueil…

    "Tu m’as dit bien souvent que tout vient à son heure ;
    "Mais du mal - mais du bien, je ne sais - que j’effleure
    "Pas un mot, pas un seul, qui défende le seuil."



    De la composition musicale, Messiaen non dénué d'humour dit souvent à ses élèves que "c'[était] plus dur que de faire du concentré de viande"... Mais que dire alors de la composition poétique ! Le bruit de la langue s'efforce d'y participer au sens ; l'articulation sonore, d'étayer la pensée.


    Tout cordialement, chère Elisabeth Chamontin. Je me tiendrai heureux, si ce commentaire ne me vaut nulle inimitié... (Même les paranoïaques ont des ennemis c'est connu !)

    Mais je préférerais nettement mériter un peu d'amitié

    L. Latourre

    ________ ________ ________


    (*) Les chemins sont abrupts, des dessous du langage :

    "Les pentes, les degrés que leur soleil descend
    "Sont d’une terre au goût comme aux couleurs du sang…
    "Nul n’y saurait, longtemps, marcher sans défaillance…
    "Nul y chanter plus haut, plus fort que la souffrance.

    "Personne, - même Orphée aux lumineux accents,
    "En mélanger la fange avec le moindre encens…

    (Orpheus)

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